page mise à jour le 13 mars 2015

 

 

Situé en bordure de l'allée principale du cimetière, le mausolée abrite les deux illustres rabbins espagnols Ribach et Rachbats, refondateurs de la communauté juive d'Alger au 14e siècle.

Ribach et Rachbats ont relevé et réorganisé la communauté d'Alger. Ils ont construit des écoles, édicté des lois et combattu les dérives. Leur détermination et leur rigueur ont fait d'Alger en quelques années un centre religieux influent et le rite d'Alger devint la référence pour tous les Juifs d'Afrique du Nord.
Ces deux  « Grands Luminaires » comme les nommait le rabbin Judas Ayache ont éclairé la route de leurs successeurs qui ont poursuivi leur œuvre dans le plus strict respect de leur enseignement.

 

Rabbi Isaac Bar Chechet Perfet dit Ribach (Barcelone ou Valence 1326 - Alger 1408)

Ribach est l'acronyme de Rabbi Isaac Bar Chechet. Selon Simon Darmon, son patronyme Perfet ou Préfect viendrait de la fonction qu'exerçait son arrière grand-père, le rabbin Chéchet ou Chéchat, qui était préfet de justice (bailli) du Prince de Catalogne.

Stèle_Ribach tombe_ribach

stèle de Ribach
-photo JPD 2007-

tombe de Ribach
-photo JPD 2009-

Formé par les plus grands maîtres d'Espagne (les rabbins Hasdaï Crescas, Peres HaCohen et Nissim de Gérone) Isaac Bar Chechet a été rabbin à Barcelone puis à Saragosse avant de diriger la communauté de Valence à partir de 1385. Il était déjà connu dans toute la diaspora comme grand décisionnaire lorsqu'il dut se résoudre à se réfugier en Algérie à cause des persécutions contre les Juifs.
Il séjourna quelques temps à Miliana avant d'être reçu à Alger en 1391 avec tous les honneurs. Il y reçut la charge de Grand Rabbin la même année. C'est avec énergie et autorité qu'il s'employa alors à structurer la petite communauté d'Alger très appauvrie qui, aux dires des nouveaux venus espagnols, avait perdu ses repères religieux.
Son recueil Techouvot ha-Ribach, les réponses aux diverses questions civiles et religieuses qu'il adressa au cours de sa vie à de nombreux correspondants, a été édité à Constantinople en 1547. Il renferme 517 responsa groupées en trois parties: la première contient les 187 responsa qu'il fit d'Alger, donc chronologiquement les dernières, les deux autres parties renferment les responsa qu'il fit en Espagne. On sait cependant que certaines de ses responsa se sont perdues.
Ribach a écrit aussi de nombreux commentaires sur plusieurs traités du Talmud, un commentaire sur la Tora, des Piyoutim (chants lithurgiques) et des Kinot (complaintes).

Sources :
Simon Darmon, Le Livre de nos Coutumes selon Ribach, Rachbats, Rachbach et R. Yehouda Ayache, Jerusalem 1995
Henri Chemouilli et R. Abraham Fingerhut, Rabbi Isaac bar Chechet Barfat Ribach et Rabbi Simon ben Tzemach Duran Rachbatz, Information Juive juillet-août 1952


Rabbi Simon Ben Tsemah Duran dit Rachbats (Palma de Majorque 1361 - Alger 1444)

Rachbats est l'acronyme de Rabbi Chimon Ben Tsemah. Simon fils de Tsemah Duran est issu d'une ancienne famille provençale, célèbre pour son érudition et ses soferim (scribes), qui s'établit à Majorque en 1306. Il eut pour maîtres Rabbi Ephraïm Vidal à Majorque, et Jonas Demestre à Teruel. Il épousa Bongoda, la fille de ce dernier. Grand érudit, versé dans les mathématiques, l'astronomie, la logique, l'histoire, la grammaire, les langues et la philosophie, il était chirurgien à Palma lorsqu'il dut s'enfuir à Alger en 1391 pour échapper au massacre des Juifs de Majorque. Remarqué par Ribach dès son arrivée, il fut intégré au rabbinat, au beth midrach (la maison d'études) et au beth din (le tribunal rabbinique).

stèle_rachbats tombe_rachbats

stèle de Rachbats
-photo JPD 2007-

tombe de Rachbats
-photo JPD 2009-

Rachbats rédigea en 1394 les Taqqanot d'Alger (ordonnances rabbiniques d'Alger) sur les lois du mariage et de la succession, et unifièrent les usages en pratique dans toute l'Algérie.
Il succéda à Ribach à la mort de celui-ci, en 1408, et dirigea la communauté jusqu'à sa mort en 1444.

Rachbats est l'auteur de quatorze ouvrages dont la plupart ont été imprimés.
Il est surtout connu pour ses décisions rabbiniques : ses 802 responsa, les réponses qu'il a apportées aux nombreuses questions qui lui ont été posées sur l’observance de la loi, constituent le Tachbets (Techouvot Chimon Ben Tsemah), publié pour la première fois en 1735 ou 1738 à Amsterdam par Meïr Crescas à partir du manuscrit de 1418. Le Tachbets a été réédité à Amsterdam en 1741, puis à Lemberg en 1891, et à Jérusalem en 1960.
Rachbats a aussi écrit plusieurs ouvrages philosophiques dont le plus connu est le Magen Abot (Bouclier des Pères) qui est en quatre parties: les trois premières traitant chacune d'un des Principes du Judaïsme ont été imprimées à Livourne en 1785 et récemment reproduites à Jérusalem; le quatrième est un commentaire sur les Pirqé Abot (le Traité des Pères, recueil des sentences des sages d'Israël qui succédèrent aux prophètes de l'époque biblique) imprimé à Livourne en 1763.

Son fils Salomon (Alger 1400 - Alger 1468) dit Rachbach (acronyme de Rabbi Chlomo Ben Chimon) lui succéda. Rachbach eut trois fils (Aaron, Tsemah et Simon) rabbins eux aussi, qui se partagèrent les tâches de la communauté à sa mort.

La dynastie des rabbins issus de la famille Duran se poursuivit jusqu'au début du XXe siècle.
Tous les membres de la famille Duran ont reçu le titre de החשוב (honorable), qualificatif utilisé notamment lors d'un appel à la Torah.

Sources :
Isidore Epstein, The Responsa of Rabbi Simon B.Zemah Duran as a source of the History of the Jews in North Africa, London 1930
Simon Darmon, Le Livre de nos Coutumes selon Ribach, Rachbats, Rachbach et R. Yehouda Ayache, Jerusalem 1995
Henri Chemouilli et R. Abraham Fingerhut, Rabbi Isaac bar Chechet Barfat Ribach et Rabbi Simon ben Tzemach Duran Rachbatz, Information Juive juillet-août 1952

L'ancien cimetière juif de la porte Bab-el-Oued

Ribach et Rachbats avaient été enterrés enterrés dans le plus ancien cimetière juif d'Alger dont on a connaissance. Il était situé hors de l'ancienne porte Bab-el-Oued après le cimetière musulman, entre le square Guillemin et l'ancienne gare de Bab-el-Oued.
Isaac Bloch a établi que ce cimetière de 1,5 hectares avait été ouvert par des Juifs majorquins expulsés par Alphonse d'Aragon après la conquête des Baléares en 1287.
Il fut utilisé jusqu'en 1691, date de l'acquisition d'un terrain contigu qui deviendra le cimetière du Midrach. Couvert de tombes, ce premier cimetière a été conservé jusqu'en 1844 lorsque fut décidée la construction des nouvelles fortifications d'Alger. Le cimetière fut exproprié le 11 mars 1844 et les exhumations durent commencer. Mais les tombes de Ribach et Rachbats échappèrent à la profanation : on raconte que l'Administration les avait laissées à leur place car les pioches ne pouvaient pas entamer la terre devenue plus dure que le marbre. La tombe de Ribach resta à l’extérieur de la fortification, recouverte par le glacis, et celle de Rachbats fut enfouie sous le nouveau mur d'enceinte.

En 1862 on construisit un petit édifice pour abriter la tombe de Ribach et on y indiqua la date de sa mort, 1442 comme on le croyait à l'époque. En 1865 le rabbin Abraham Cahen démontra que cette date était erronée. Peu après, le Consistoire la remplaça par celle de 1408 que l'on venait de découvrir dans un manuscrit.

inscriptions

inscriptions étudiées par Abraham Cahen
-AIU (Fonds Abraham Cahen)-

mausaurib

(tableau A.Levy)
-Information Juive 1952-


l'édifice sur la tombe de Ribach

ribach-gentz

(détail du tableau de Wilhelm Gentz)
-musée de Leipzig-

Le 24 août 1866 une plaque de marbre fut apposée en vis à vis du monument de Ribach, sur la partie du mur d'enceinte qui recouvrait la tombe de Rachbats. Elle indiquait l'année de sa mort, 1442, corrigée ensuite par 1444.

Le tombeau de Ribach et le mur de Rachbats qui se faisaient face devinrent alors des lieux de pèlerinage pour les Juifs et les Juives d’Alger, avec parmi eux des femmes espagnoles et mauresques venant elles aussi demander aux Rabbanim d’exaucer leurs vœux.

Sources :
Isaac Bloch (Grand Rabbin d’Alger), Inscriptions Tumulaires des Anciens Cimetières Israélites d’Alger, Paris 1888, réédité par le Cercle de Généalogie Juive, Paris 2008
Isaac Morali, Documents personnels, collection Daniel Morali
Abraham Cahen (Grand Rabbin de Constantine), Archives Israélites, 1865

Le transfert des Rabbanim

En 1896 de nouveaux travaux d'aménagement décidés par les autorités provoquèrent indignation et fureur. Cette période est connue notamment par les écrits de Moïse Weil, alors grand rabbin d'Alger, qui relate les scènes de profanation ayant accompagné les travaux malgré les protestations de la communauté. Il demanda aux rabbins Samuel Seror et Isaac Hanoun de rester près de l’endroit où les travaux étaient entrepris pour recueillir les ossements qui seraient mis à découvert, et, terrorisé à l’idée que les « saints ossements » des rabbanim pourraient être touchés, il insista pour que le grand rabbin de France Zadok Khan intervienne auprès des plus hautes instances gouvernementales. Mais rien n’y fit, et le déplacement des corps des vénérés rabbins s’avéra nécessaire.

C’est alors que le mausolée de Ribach fut démantelé et le mur d’enceinte Nord de la ville détruit. Cette démolition révéla une chambre sépulcrale protégeant la tombe de Simon ben Tsémah Duran incluse dans le remblai des fortifications. Ainsi donc la tombe de Rachbats avait été préservée et l’on découvrit sa longue pierre tombale posée à même le sol où étaient indiqués le nom et les vertus du grand rabbin ainsi que l’épitaphe qu’il avait lui-même composée et que l’on peut voir aujourd’hui reproduite sur la stèle qui se trouve à l’entrée du mausolée.

Inauguration du mausolee

Après que les marbres furent retirés, il fallut transporter les restes des rabbanim sans y toucher. C’est le jeune architecte Isaac Soucy qui trouva une solution ingénieuse. Il fit procéder au creusement de larges et profondes tranchées autour des tombeaux, au placement de madriers et de cercles de fer en dessous, puis au coulage d'une légère couche de ciment pour empêcher l'effritement de la terre. Une grue puissante enleva alors les blocs ainsi constitués d'un seul coup. Toute la population juive d'Alger suivit le convoi qui conduisit les Rabbanim au cimetière israélite de Saint-Eugène, où une fosse, correspondant au volume des blocs funéraires enlevés, les recueillit.

Depuis 1909, le nouveau mausolée, érigé par les soins de Mardochée Levi-Valensi au-dessus de cette fosse, les abrite.
La terre où repose le corps de Rachbats est dorénavant protégée par la plaque de marbre anciennement apposée sur le mur d'enceinte d'Alger. La pierre d’origine fut déposée en 1896 au Musée des Antiquités de Mustapha-Supérieur alors en création. Elle s'y trouvait encore en 1934 avec diverses inscriptions hébraïques. Soixante-quinze ans après, en juin 2009 je ne la vis pas parmi les pierres tombales juives exposées dans le patio du Musée des Antiquités.
Elle est, je l'espère, à l’abri dans les réserves du musée.

Sources :
Paul B. Fenton, Almanach du KKL 5756-1996, cité par le site du judaïsme alsacien à l'adresse :
http://judaisme.sdv.fr/histoire/rabbins/mweil/mweil.htm#rt1

Simon Darmon
, Contes et Récits des Juifs d'Algérie, Paris 2007
Henri Murat, L'Afrique du Nord Illustrée du 24 novembre 1934

 

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